lundi 12 novembre 2007

LE DEPART POUR LE FRONT

بســـم اللــه الرحمــــان الرحيـــــم

La résistance marocaine
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Le départ pour le front

…..A la prière d’Al Maghrib1, Hssaïn vint enfin donner ses ordres brefs et fermes de commandant qui ne transigeait pas. Puis il s’en fut avec les deux hommes.

Aïcha suivit bien longtemps son fils du regard. Elle avait sur le visage l’expression étrange que devaient avoir toutes les mères, à travers l’histoire, lorsqu’elles voyaient partir leur fils au combat dont peut-être il ne reviendrait pas. Une expression où se lisait un mélange de fierté, de tristesse, de regret, et une longue prière montant de son tréfonds et s’élevant vers le ciel tout là-haut. Une expression éclairée et ombragée à la fois, rayonnante et angoissée, accentuée par le jeu auquel participaient tous les sens du corps et tous les muscles frémissants de son visage. La plainte et l’appel du regard et l’humidité lumineuse des yeux, bien plus expressifs et plus parlants que tous les discours du monde, couronnaient cette expression si humaine et si étrange!

Abou Ali, lui, savait cacher le sentiment indescriptible que lui inculquait la solennité du moment. Il préféra ne pas se retourner sur son chemin.

…………………………………..

….Au beau milieu de la nuit, il sentit un pied sur son flanc. Il se réveilla en sursaut, reprit rapidement ses esprit et se leva, sur le qui-vive. Il sentit tout d’abord la gifle de la brise fraîche nocturne sur son visage avant d’écarquiller ses yeux en contre-jour de la lueur blafarde des étoiles, réverbérée par la neige toute proche. Une silhouette trapue se penchait sur lui. Il s’entendit chuchoter par un inconnu de se préparer à partir à l’aube pour une mission d’interception d’une patrouille ennemie près de Tounfiyt, au Nord-Est du camp. On lui précisa qu’il s’agissait là d’une mission dangereuse d’où on revenait rarement indemne. Il était préférable d’aller carrément au front que d’entreprendre pareille mission où l’attaquant pouvait facilement devenir l’attaqué. Une rencontre avec des patrouilles ennemies mettrait immanquablement l’ensemble des Moujahidin en grand péril si le commando était arrêté et interrogé! D’où la nécessité impérieuse de mettre toutes les chances de son côté pour réussir sa mission. Dans le cas contraire, il fallait faire en sorte qu’aucun membre du commando ne tombe entre les mains de l’ennemi! Il ne fallait pas s’enfuir. Il fallait se battre, quitte à se faire massacrer jusqu’au dernier.

Son interlocuteur déposa près d’Abou Ali un fusil, une Tafala, un pain d’orge, une gourde d’eau, des chargeurs, et un Aâdil contenant des objets divers.

Comme une apparition irréelle, le messager de la nuit disparut comme il était venu, en silence, happé par l’obscurité impénétrable du sous-bois.

Abou Ali ne put plus se rendormir. Il avait les yeux dilatés et le regard perdu dans la nuit. Il fixait au loin le sommet d’un pic qui se détachait sur un ciel profond et limpide. Au beau milieu du grand spectacle des constellations se hâtaient vers l’Est quelques nuages déchiquetés, poussés par un vent hargneux et impitoyable qui les empêchait de se cicatriser.

Son cerveau, d’abord embrouillé, se mit à travailler à toute vitesse. Il lui fallait mieux se renseigner afin de tester ses capacités à honorer une telle mission. Mais auprès de qui? Son interlocuteur de tout-à-l’heure était déjà loin! Le souci de revenir de sa première mission indemne, victorieux, occupait le devant de ses pensées. Il voulut pouvoir obtenir plus d’informations.

La futaie semblait à ce moment, tout entière, abandonnée à la léthargie et au repos nocturne. Il lui semblait qu’il était le seul être sur la Terre à veiller de la sorte, l’esprit et les nerfs tendus, en alerte! Il prêta l’oreille et n’entendit que l’aboiement faible de quelque chien frileux et affamé. Tout près de lui, des dormeurs se renvoyaient des ronflements en guise d’invectives.

Soudain, au moment où la ligne de crête révélait, en traits de feu, les premières lueurs de l’aube, on l’appela! Il ne réalisa pas tout d’abord que c’était son nom que l’on criait et il ne répondit qu’au troisième appel. Son sang ne fit qu’un tour et son cœur battit la chamade. Il oublia tout. Il pensa que ce qu’il appréhendait était peut-être déjà là: le départ vers on ne sait quel lieu de bataille où il courrait sans doute le danger de laisser la vie.

« Et ma chère mère, se dit-il? Et Itto? et les autres? Qu’en adviendrait-il? ».

Il eut soudain un moment de faiblesse et d’hésitation. Puis se rappelant la joie et l’enthousiasme que manifestaient hier de jeunes gens comme lui, qui risquaient aussi leur vie comme lui, il se ressaisit en se rappelant ce que lui disait le Fqih de Lenda au sujet du motif du courage des Moujahidin:

« Les Roumis n’ont que cette vie éphémère, lui disait-il. C’est pour cela qu’ils œuvrent pour y trouver un certain confort, même en lésant d’autres êtres humains comme eux dans leurs droits, dans leurs terres et dans leur vie. Mais les croyants eux, ont une double chance en combattant dans le chemin d’Allah: ou ils obtiennent la victoire ici-bas, ou ils sont martyrs et ils vont au Jardin des Délices. Ils sont doublement gagnants! ».

Il se rappela la volonté de sa mère d’en faire un Moujahid, et leur vœu à tous les deux de ne jamais cesser la lutte. N’était-il pas issu d’une lignée de grands Moujahidin? Il devait honorer sa vocation, dût-il y laisser sa vie ! L’idéal était bien plus grand !

Alors il se sentit tout-à-coup des ailes. Il traversa d’un saut, en direction des appels, la nappe de brume qui, imperceptiblement, était montée des entrailles ténébreuses de la vallée profonde. Il se trouva devant Hssaïn et le sage d’hier, Sidi Ou Khouya, dont il apprit pour la première fois le nom.

(Tiré du Roman « La Foi de l’Aigle », de M. AKOUJAN.)



1 Prière du couchant.


lundi 5 novembre 2007

La nouvelle recrue

بسم الله الرحمـــــن الرحيـــــــــم


La résistance marocaine.

La nouvelle recrue.

….Hssaïn et son compagnon entrèrent rapidement, et sans autre cérémonial, ils invitèrent le vieil homme à parler à voix basse et à les écouter attentivement. Moha fit un signe d’apaisement aux deux femmes qui s’approchaient, et Abou Ali sortit de sa cachette précaire improvisée!

« Une grosse colonne ennemie a été défaite près d’ici, dit Hssaïn. C’est une véritable chasse à l’homme dans les taillis avoisinant pour capturer les fuyards. Un commando se charge de leur couper la route et les liaisons avec les «Qechla1 ». Votre maison domine l’entrée du chemin. Elle a une bonne vue sur le cirque en face. Lâarbi restera avec vous pour assurer la garde et donner l’alerte. Il coupera la retraite aux éventuels fuyards qui seraient amenés à s’approcher des environs. »

Puis se tournant vers Abou Ali, et sans s’attarder à poser de questions pour l’identifier, il dit:

« Nous avons besoin d’hommes là-haut! As-tu une arme?

-Non, dit Abou Ali, je...

-Prends ma Tafala2 pour commencer! lui dit-il sans le laisser terminer sa phrase. Tu prêteras main forte à Lâarbi, puis tu viendras avec lui au signal ». Et il disparut aussi promptement qu’il était apparu.

Abou Ali ne savait quoi faire de cette Tafala dans son bel étui. Il la considéra en la tournant et retournant sans mot dire. Il avait l’habitude de sa fronde qu’il maniait comme un prodige, mais aussi de son fusil dont il avait à se servir des fois. Il fit rapidement un inventaire de ses possibilités, et nombre de questions vinrent à son esprit: il ne connaissait pas le terrain, ne savait pas qui était qui, ni comment les combattants étaient organisés. Il s’agissait de sa vie et il devait tout d’abord se renseigner.

Le regretté Âamjan l’avait un peu informé. Il l’emmenait pour donner un coup de main lorsque les opérations ne devaient pas se dérouler trop loin de chez lui. Mais c’était à l’occasion de courtes sorties sans grand danger, où il fallait rarement faire un baroud d’honneur. Et puis la présence du valeureux Âamjan à ses côtés était rassurante. Le regretté était pour lui un véritable rempart!

A présent, il se sentait seul face à l’inconnu. Il se trouvait en présence de gens dont­‑à l’exception de ses hôtes et des deux hommes en arme‑il ne connaissait même pas le nom. Mais il pensa au courage exemplaire de son père, de ses frères aînés et surtout de Âamjan, et ces pensées lui rendirent quelque contenance. Il se rappela aussi le serment qu’ils avaient fait, sa mère et lui, avant de quitter leur maisonnette du bord du lac. Il s’aperçut alors qu’il ne pouvait qu’aller de l’avant et confier son destin à la providence.

Il commençait à reprendre courage lorsque Lâarbi, qui semblait avoir lu sur son visage et dans ses pensées, tour à tour sa détresse, puis ses préoccupations, puis sa résignation, lui mit la main sur l’épaule et lui dit à voix basse:

« A partir de maintenant, tu es mon frère. Nous partagerons tout. Nos repas, notre grotte là-haut, nos munitions, nos vêtements, et même notre tombe s’il le fallait. Tu es courageux puisque tu es arrivé jusqu’à nous. On s’en sortira avec l’aide d’Allah! »

Puis il se tourna vers Aïcha pour la rassurer. Mais celle-ci avait l’air radieux. Elle le considérait avec indulgence. Elle lui dédia un regard reconnaissant, plein d’affection: Ce jeune homme qui allait faire de son fils un vrai combattant lui rappelait son regretté Âamjan. Mais c’était aussi lui qui allait peut-être devenir l’instrument de ce destin qui allait sans doute le lui arracher à jamais, pensa-t-elle avec appréhension!

Abou Ali avait senti la main de Lâarbi sur son épaule comme celle d’un ours: il était fort et musclé. Il eut un peu honte en pensant qu’il ne pourrait peut-être pas être à la hauteur, le moment venu.

Les deux hommes parlèrent longuement. Lâarbi lui prodigua les enseignements de sa propre expérience. Il lui apprit les noms des chefs de groupes, lui indiqua les positions tenues et les chemins à suivre. Il lui expliqua aussi qu’il aurait à braver des dangers réels et côtoyer la mort. C’était le lot des résistants. Car dès lors, Abou Ali devait savoir qu’il avait fait don de son être et de sa vie pour défendre son Pays et les siens. Il se sentait un autre être, entre deux monde, l'un fait de rêve et d'inconnu, le fascinant et l'appelant irrésistiblement, l'autre supportait encore ses pieds et son corps, et était prêt à le cracher quelque part, à le catapulter sur un fil de rasoir où le moindre faux pas le soustrairait à jamais à la vie. Larbi, pour lui donner un peu d'assurance, lui promit de tout lui enseigner sur l'art de survivre, et de lui apprendre le maniement des nouvelles armes dont la Résistance disposait.

Tout en parlant, Larbi avait un sourire permanent aux lèvres. Un sourire de celui qui en avait vu dans sa vie, qu’aucun danger ne pouvait ébranler, et que rien ne pouvait plus étonner. Mais aussi un sourire assuré, de celui qui était au fait de son affaire et convaincu de son but. Celui qui ne voyait au bout de ce tunnel de désespoir, que l’infime point de lumière de l’espoir, bien lointain. Un fil si ténu, si arachnéen le rattachait à cet îlot d’espoir, mais auquel il était accroché tout entier, corps et âme, comme un noyé à sa planche du salut. Il ne vivait que nourri par la certitude de la victoire toute proche!

A la prière d’Al Maghrib1, Hssaïn vint enfin donner ses ordres brefs et fermes de commandant qui ne transigeait pas. Puis il s’en fut avec les deux hommes.

Aïcha suivit bien longtemps son fils du regard. Elle avait sur le visage l’expression étrange que devaient avoir toutes les mères, à travers l’histoire, lorsqu’elles voyaient partir leur fils au combat dont peut-être il ne reviendrait pas. Une expression où se lisait un mélange de fierté, de tristesse, de regret, et une longue prière montant de son tréfonds et s’élevant vers le ciel tout là-haut. Une expression éclairée et ombragée à la fois, rayonnante et angoissée, accentuée par le jeu auquel participaient tous les sens du corps et tous les muscles frémissants de son visage. La plainte et l’appel du regard et l’humidité lumineuse des yeux, bien plus expressifs et plus parlants que tous les discours du monde, couronnaient cette expression si humaine et si étrange!

Abou Ali, lui, savait cacher le sentiment indescriptible que lui inculquait la solennité du moment. Il préféra ne pas se retourner sur son chemin.

On apprit le lendemain que la grosse colonne défaite avait rapporté à la résistance armes et munitions, denrées de toutes sortes, tissus en grande quantité, et bêtes de somme en grand nombre. La plupart des soldats ennemis avaient été faits prisonniers, et les autorité militaires, sur les dents, opéraient des ratissages dans la région.

Des soldats ne tardèrent pas à venir inspecter le petit hameau d’Alemsid. Ils n’y trouvèrent que des femmes, des enfants et des vieillards invalides!

Quant à Abou Ali, armé de sa Tafala et de sa fronde, il s’était laissé catapulter par une autre fronde, celle du destin, en pleine épopée. Sa vie antérieure lui sembla un rêve plat, futile et sans saveur. Il allait faire de ces montagnes dont il ne pouvait voir les crêtes que de loin, tel l’aigle, son repaire et sa patrie à défendre.



1 Prière du couchant.


(Tiré du roman «La Foi de l’Aigle » de M. AKOUJAN)


1 Poste de garde, de guet et de combat, le plus souvent fortifié. Ce nom vient probablement du nom andalous « Qechtala », et espagnol « Castilla ».

2 Arme blanche, mi-poignard, mi-épée, faite pour le combat au corps à corps, bien connue au Maroc.

mercredi 31 octobre 2007

Ibn Khaldoun témoigne

IBN KHALDOUN témoigne

(Histoire des berbères...Tome 1 .p 199 et suivantes).

"Citons ensuite les vertus qui font honneur à l'homme et qui étaient devenues pour les Berbères une seconde nature; leur empressement à s'acquérir des qualités louables, la noblesse d'âme qui les porta au premier rang parmi les nations, les actions par lesquelles ils méritèrent les louanges de l'univers, bravoure et promptitude à défendre leurs hôtes et clients, fidélité aux promesses, aux engagements et aux traités, patience dans l'adversité, fermeté dans les grandes afflictions, douceur de caractère, indulgence pour les défauts d'autrui, éloignement pour la vengeance, bonté pour les malheureux, respect pour les vieillards et les hommes dévots, empressement a soulager les infortunes, industrie, hospitalité, charité, magnanimité, haine de l'oppression, valeur déployée contre les empires qui les menaçaient, victoires remportées sur les princes de la terre, dévouement à la cause de Dieu et de la religion; voila, pour les Berbères, une foule de titres à une haute illustration, titres hérités de leurs pères et dont l'exposition, mise par écrit, aurait pu servir d'exemple aux nations à venir.

Que l'on se rappelle seulement les belles qualités qui les portèrent au faîte de la gloire et les élevèrent jusqu' aux hauteurs de la domination, de sorte que le pays entier leur fut soumis et que leurs ordres rencontrèrent partout une prompte obéissance.

Parmi les plus illustres Berbères de la première race, citons d'abord Bologguin-Ibn-Ziri le Sanhadjien qui gouverna l'Ifrikla au nom des Fatemides ; nommons ensuite Mohamed-Ibn-Khazer et son fils EIKheir, Youssof-Ibn Tachefin, roi des Lemtouna du Maghreb, et Abd-el-Moumen-Ibn-Ali, grand cheikh des Almohades et disciple de l'imam EI-Mehdi.

Parmi les Berbères de la seconde race on voit figurer plusieurs chefs éminents qui, emportés par une noble ambition, réussirent à fonder des empires et à conquérir le Maghreb central et le Maghreb-el-Aqsa.

D'abord Yacoub-Ibn-Abd-EI-HAQ, sultan des Beni-Merine ; puis, Yaghmoracen-Ibn-Zian, sultan des Beni Abd-el-Ouad ; ensuite, Mohammed-Ibn-Abd-el-Qaouiy-Ibn-Ouzmar, chef des Beni-Toudjin.

Ajoutons a cette liste le nom de Thabet - Ibn- Mendil, émir des Maghraoua établis sur le Chelif, et celui d'Ouzmar-Ibn-Ibrahim, chef des Beni Rached ; tous princes contemporains, tous ayant travaille, selon leurs moyens pour la prospérité de leur peuple et pour leur propre gloire.

Parmi les chefs berbères voila qui possédèrent au plus haut degré les brillantes qualités que nous avons énumérées, et qui, tant avant qu'après l'établissement de leur domination, jouirent d'une réputation étendue, réputation qui a été transmise à la postérité par les meilleures autorités d'entre les Berbères et les autres nations, de sorte que le récit de leurs exploits porte tous les caractères d'une authenticité parfaite.

Quant au zèle qu 'ils déployèrent à faire respecter les prescriptions de l'Islam, à se guider par les maximes de la loi et a soutenir la religion de Dieu, on rapporte, a ce sujet, des faits qui démontrent la sincérité de leur foi, leur orthodoxie et leur ferme attachement aux croyances par lesquelles ils s'étaient assurés la puissance et l'empire. Is choisissaient d'habiles précepteurs pour enseigner a leurs enfants le Livre de Dieu ; ils consultaient les casuistes pour mieux connaitre les devoirs de l'homme envers son Créateur; ils cherchaient des Imams pour leur confier le soin de célébrer la prière chez les nomades et d'enseigner le Coran aux tribus; ils établissaient dans leurs résidences de savants jurisconsultes, chargés de remplir les fonctions de cadi; ils favorisaient les gens de piété et de vertu, dans l'espoir de s'attirer la bénédiction divine en suivant leur exemple; ils demandaient aux saints personnages le secours de leurs prières ; ils affrontaient les périls de la mer pour acquérir les mérites de la guerre sainte; ils risquaient leur vie dans le service de Dieu, et ils combattaient avec ardeur contre ses ennemis.

Au nombre de ces princes on remarque au premier rang Youssof Ibn-Tachfint et Abdelmoumen-Ibn-Ali ; puis viennent leurs descendants et ensuite Yacoub Ibn-Abd-el-Haq et ses enfants. Les traces qu'ils ont laissées de leur administration attestent le soin qu'ils avaient mis a faire fleurir les sciences, à soutenir le Jihad, à fonder des écoles, à élever des Zaouia, des Mosquées et des Ribat, à fortifier les frontières de l'empire, à risquer leur vie pour soutenir la cause de Dieu, à dépenser leurs trésors dans les voies de la charité, à s'entretenir avec les savants, à leur assigner la place d'honneur aux jours d'audience publique, à les consulter sur les obligations de la religion, à suivre leurs conseils dans les événements politiques et dans les affaires de la justice, à étudier l'histoire des prophètes et des saints, à faire lire ces ouvrages devant eux dans leurs salons de réception, dans leurs salles d'audience et dans leurs palais, à consacrer des séances spéciales au devoir d'entendre les plaintes des opprimes, a protéger leurs sujets contre la tyrannie des agents du gouvernement, à punir les oppresseurs, à établir au siège du khalifat et du royaume, dans l'enceinte même de leurs demeures, des oratoires où l'on faisait sans cesse des invocations et des prières, et où des lecteurs stipendiés récitaient une certaine portion du Coran taus les jours, matin et soir. Ajoutons a cela qu'ils avaient couvert les frontières musulmanes de forteresses et de garnisons, et qu'ils avaient dépensé des sommes énormes pour le bien public, ainsi qu'il est facile de le reconnaitre à l'aspect des monuments qu'ils nous ont laissés.

Faut-il parler des hommes extraordinaires, des personnages accomplis qui ont paru chez le peuple berbère? Alors, on peut citer des saints traditionnistes à l'âme pure et à l'esprit cultivé ; des hommes qui connaissaient par cœur les doctrines que les Tabes et les Imams suivants avaient transmises à leurs disciples; des devins formés par la nature pour la découverte des secrets les plus cachés. On a vu chez les Berbères des choses tellement hors du commun, des faits tellement admirables, qu'il est impossible de méconnaitre le grand soin que Dieu a eu de cette race. . . "

lundi 29 octobre 2007

PAIX ET EQUITE


Le sens de la paix, de l'équité et du droit dans l'organisation tribale au Maroc

L’organisation tribale au Maroc reposait sur de nobles principes et une pensée sophistiquée aux plans politique et philosophique. Le nom de chaque confédération de tribus est éloquent à ce sujet. Il devait être apaisant envers le monde intra tribal et intra confédération, mais aussi envers l’environnement humain extérieur et le voisinage. Il devait être de bon augure, et schématiser la morale et l’éthique, et même la foi et les croyances.

La confédération ne pouvait exister sans le consensus général, à l’issue d’un forum où tous les membres de chaque tribu constitutive avait droit à la parole. Les sages guidaient les discussions, et suggéraient les éléments d’un accord.

En général, comme tout ensemble qui nait, grandit, puis vieillit, des tribus avaient besoin de se confédérer lorsqu’elles se trouvaient face à un danger commun, ou avaient des intérêts communs ou des droits sur un espace commun, ou lorsque la confédération, trop peuplée, avait besoin de nouveaux espaces pour s’étendre, rivaliser avec le voisinage, commençait à se disloquer. Le pacte conclus comportait toujours des volets subsidiaires sauvegardant les droits de chacune des communautés confédérées et réglant les limites à observer.

Le pacte est scellé ensuite par des actes sacrés : un serment solennel, un allaitement, un geste de fraternité etc…

Le sceau du pacte- l’acte sacré- permettait de donner un nom à la nouvelle congrégation.

Ainsi trouve-t-on des noms évocateurs désignant les grands ensembles de tribus, tels :

- Les Ait Yafelmane: Rassemblés par un pacte de paix et de sécurité, tant pour les membres que pour tout ceux qui les approchent. Tous devraient trouver la paix au sein des tribus confédérées.

- Les Ait TaDa : Ce sont ceux que l'allaitement a rassemblés, et qui sont devenus, de près ou de loin, des frères de lait (ImseTTidn).

- Les Ait M’Gill : Ce sont ceux qui se sont alliés sous serment (Imegguillane)

- Les Idoukkaln : Ceux qu’une alliance d’amitié rassemble (Tiddoukla). Les Idoukkaln, (Doukkala), ont pour origine le versant Nord du Jbel M’goun) etc…

Ce que l'on peut retenir, c’est que ce système d’alliance est efficace à tout point de vue :

- Il est démocratique, avec une note originale du sens démocratique.

- Il repose sur les nobles principes révélés dans les grandes religions célestes,

- Il est issu à long terme de procédés éprouvés à travers les âges, et à court terme, de besoins réel et non d'échéances préétablies.

- Il implique directement ou indirectement la voix de l’individu, à la base et comme au sommet.

Il suffisait, jusqu’à une époque très proche de nous, de constater l’efficacité de ces alliances lorsque, dans un lieu public, un souk par exemple, survient un incident. Chacun reconnaît alors les siens et dit : « OuthaDa nou », « Imegguilli nou », etc… Cet état de chose sert à contenir la tension en attendant l’intervention des sages pour régler le problème sans effusion de sang. La persuasion est spontanée, et la paix est sauvée par le système – même.

Cette forme de démocratie chez les imazighen se manifeste également lorsqu’il s’agissait d’élire un nouvel Amghar (ou AnebbaD).

Lorsque l’Amghar en exercice meurt, ou lorsqu’il n’est plus en état d’assumer ses responsabilités, les sages et les notables se réunissaient à huis-clos.

Ils établissent la listes de plusieurs pressentis, et les soumettent à des critères bien connus : Avoir plus de quarante ans d’âge, avoir des enfants, posséder sa propre fortune, connu pour son intégrité et pour le respect de la parole donnée etc…

Lorsque les sages et les notables parviennent à un accord sur la personne, ils vont la trouver chez elle, sous un prétexte quelconque.

Après le thé, l’un d’eux lui annonce la décision le concernant. L’intéressé refuse . Ils insistent! Ils présente des motifs : il peut à peine s’occuper de ses propres affaires, il craint de porter atteinte sans le vouloir aux intérêt de la tribu… Ils refusent ! Il craint de porter un tort à quelqu’un. Ils refusent ! Lorsqu’il est au bord des larmes, ils lui annoncent alors que, justement, la tribu a besoin d’un homme comme lui qui refuse de porter le poids de cette lourde responsabilité, et qu’en se défendant, il ne faisait que s’impliquer d’avantage !

La « victime » se tait.

Le lendemain, sur la pelouse d’un Almou, les représentants de chaque Ighess viennent jeter, à tour de rôle, un brin d’herbe sur un burnous étendu à même l’herbe. Ce geste signifiait que chacun, au nom de sa fraction, donnait son accord pour la désignation du nouvel Amghar. La nature était le bulletin de vote et l’urne en même temps. La transparence était totale.

Ensuite la fatiha est lue.

Tous invoquent Le Créateur pour qu’Il accorde longue vie à leur Amghar.

Ensuite c’est la fête durant des jours pour que tout un chacun sache que le nouvel Amghar est bien un-tel. La publicité électorale vient après l’élection et non avant comme c’est la pratique de nos jours chez nos contemporains qui recherchent, eux, le profit, et font fi de ce qu'est réellement la responsabilité.

« Nous avions proposé aux cieux, à la terre et aux montagnes la responsabilité (de porter les charges de faire le bien et d'éviter le mal). Ils ont refusé de la porter et en ont eu peur, alors que l'homme s' en est chargé; car il est très injuste (envers lui-même) et très ignorant. (Al-Ahzab, 72) » Coran.

Mohamed AKOUJAN

samedi 27 octobre 2007

Des scènes de la vie d'Aghbala durant les années 20 - 30

AGHBALA aux années 20-30.

.....A l’entrée du village, ils s’enfoncèrent dans un labyrinthe de ruelles minuscules qui les menèrent droit dans un cul-de-sac. C’était un Ighrem3 carré formé de petites maisons en terre, dont les ouvertures donnaient toutes sur la cour intérieure commune.

Le village d’Aghbala est bâti à flanc de coteau, au pied des falaises de l’Aqecha. Il domine un espace de jardins appartenant en commun à des fractions de la tribu. Sur ses plates-bandes bien ordonnées et jalonnées de rosiers sauvages et d’arbres fruitiers, on cultivait du maïs, des navets, des courges, des oignons et de la luzerne. Il était arrosé par une abondante source qui lui a donné son nom, ombragée par des peupliers blancs où des oiseaux nidifiaient toute l’année.

L’agglomération elle‑même était essentiellement constituée des Igherman2 construits non loin les un des autres, servant à abriter les gens venant faire leurs affaires au souk, le mercredi. Chaque fraction de la tribu avait son propre Ighrem, et c’était ainsi qu’on trouvait l’Ighrem des Aït Aïssa, l’Ighrem des Aït Bendeq, l’Ighrem des Ihrirr...

Les deux compagnons se trouvèrent fortuitement à l’intérieur de l’Ighrem des Aït Aïssa. Le souk devait se tenir le lendemain et la cour était encombrée de mules, de bovins et de petit bétail amenés à la vente. Il y avait aussi des sacs de grain, des poulets entravés, des meules de paille et du bois en quantité pour le chauffage et pour la cuisine.

Les femmes s’agitaient affairées autour de fours à pain communs, ou remuaient sur le feu le contenu d’un pot ou d’une marmite en terre cuite. De temps à autre, des hommes s’interpellaient à tue‑tête d’une demeure à l’autre, et quelques fois, ils pouvaient entretenir indéfiniment une discussion par ce curieux mode de communication.

Nos amis savaient que le sens de l’hospitalité était développé chez les Aït Sokhman. Ils cherchèrent un moyen d’aborder les habitants de ce lieu, avec le maximum de discrétion, afin de trouver un moyen d’y passer la nuit en sécurité.

Une vielle femme venait de remplir la mangeoire de ses chèvres, non loin d’eux. Elle les remarqua et les observa pendant un moment, puis vint résolument à eux et leur parla comme s’ils étaient de vielles connaissances:

« Mes enfants, allez donc vous réchauffer et manger à votre faim. Mon Ahrir vous attend. C’est la porte là‑bas! »

Les Igherman étaient souvent déserts, en dehors du jour de la tenue du souk, et de la veille. Les gens de la tribu venaient en nombre faire des affaires, se rencontrer, collecter des nouvelles, acheter leur nécessaire, passer des contrats et s’adonner à tant d’autres activités que seul un tel rassemblement hebdomadaire permettait. On ne trouvait dans ces Igherman, durant cinq jours de la semaine, que quelques femmes âgées et de rares hommes retenus par quelque occupation ou délégués par les gens de la fraction pour une mission d’entretien des lieux.

Abou Ali salua la vielle femme en la remerciant. Puis il fit mine de chercher quelqu’un de sa connaissance, sensé être un habitué de l’Ighrem. Elle sourit et les prit tous les deux d’autorité par la main, les obligeant à la suivre.

Ils pénétrèrent dans une pièce sombre, envahie par de la fumée âcre, où il n’y avait apparemment personne. Il s’assirent en silence et inspectèrent la pénombre. Ils ne virent qu’un amoncellement de bâts de mules.

Ils étaient encore un peu inquiets. Malgré la fatigue du chemin qui leur pesait à présent dans tout le corps et les invitait irrésistiblement à un sommeil réparateur, ils s’efforcèrent d’analyser la situation:

« Pourrions‑nous être en sécurité ici? demanda Oussidan à son compagnon qui prêtait attention aux bruits du dehors, couverts par la cacophonie des occupants d’Ighrem qui continuaient leur discussion tonitruante.

- Sans doute si on sait se tirer d’affaire en agissant intelligemment, et surtout en parlant le moins possible. Tâchons d’être aimables et n’offensons personne. Essayons de nous rendre utiles dès que l’occasion se présentera.

- Si au moins on pouvait ouvertement aborder ces gens. Il se pourrait qu’on rencontre parmi eux des Ichqiren. J’ai hâte de savoir ce qu’il est advenu de ma famille là-bas. Elle doit bien s’inquiéter si elle apprend les dernières nouvelles du front»

Tout-à-coup, ils entendirent quelqu’un remuer derrière eux et se racler la gorge. Ils se retournèrent et virent bouger un bât de mule. Ils se mirent sur leurs gardes et s’apprêtèrent à lutter ou à s’enfuir, quand le « bât » leur dit d’une voix calme:

« Vous venez de Sidi Yahya sans aucun doute. Moi aussi j’en viens! Quelle terrible défaite pour les combattants! Mais soyez sûrs qu’avec leur repli sur Baddou, ils seront maintenant nombreux pour tenir tête à l’ennemi et le détruire avec l’aide d’Allah! Vous êtes des Ichqiren, n’est-ce pas? »

Il y avait assurément quelqu’un sous le bât qui, comme nos amis, avait la peur aux trousses et se camouflait pour se soustraire aux regards!

Leur interlocuteur se dressa. Ce n’était pas un bât! C’était un homme grand et fort, dont les habits et la couverture usagée qui le couvrait, se confondaient avec les bâts en un mimétisme parfait. Il était visible qu’il se cachait lui aussi pour échapper aux gardes qui recherchaient sans relâche les dissidents. Mais rassuré par les paroles de nos amis, il se hasarda à se manifester. Leur dialogue méfiant l’avait persuadé qu’il avait des compagnons d’infortune.

La vieille femme avait agi avec beaucoup d’intelligence et de jugement pertinent en invitant les nouveaux venus dans sa maisonnette. Elle avait remarqué leur hésitation et noté qu’elle ne les avait jamais vus auparavant: Son intuition infaillible et la sensibilité de son cœur de mère qui avait mille occasions de tressaillir pour tant d’événements à venir, ne l’avaient pas trompée. Elle était convaincue, dès l’instant où elle les rencontra, qu’ils étaient des maquisards en fuite et qu’il serait utile de leur faire rencontrer son fils Saïd et leur offrir en sa demeure un refuge sûr!

Saïd les informa de la stratégie adoptée par les combattants de Sidi Yahya. Ayant entendu parler de la terrible hécatombe des Moujahidin à Tazegzaout, ils s’étaient empressés d’avoir le maximum d’informations sur les capacités réelles des armées d’occupation. Des colonnes venaient d’Alemsid et de Tounfiyt pour les prendre en tenaille. Des volontaires furent désignés pour aller au devant de l’ennemi afin de le retarder et pour faire diversion. Pendant ce temps, le gros des effectifs des Moujahidin opérait un repli stratégique en s’enfonçant dans les profondeurs inaccessibles du Haut Atlas pour rejoindre leurs frères à Hamdoun(1).

« De nombreux volontaires furent tués, raconta Saïd. Mais grâce à eux, les ennemis ne trouvèrent sur place que les vestiges du campement. Leurs colonnes, mal préparées et moins disposées que les vaillants résistants, ne purent les pourchasser en terrain inconnu et très accidenté. Seuls des aéroplanes les survolaient de temps à autre en essayant de les bombarder, sans beaucoup de succès toute fois. Mais au retour des colonnes de l’ennemi vers leurs casernes à Tounfiyt et à Alemsid, nos tireurs d’élite, embusqués çà et là dans des cèdres et dans les rochers, bien camouflés et agiles, en ont tué des dizaines. J’étais parmi ces volontaires. J’ai vu la débâcle de l’ennemi harcelé par seulement une poignée de combattants aguerris. J’ai regretté à ce moment‑là que ceux qui étaient en route vers Hamdoun ne soient pas de la partie. On les aurait exterminés! Toujours est-il que nous avons pu faire de nombreux prisonniers dont des gradés de leur bataillon. Craignant pour la vie des leurs officiers entre nos mains, leurs chefs ordonnèrent de cesser la poursuite de nos éléments ».

- As-tu vu Hssaïn et Larbi, demanda Abou Ali?

- Je n’ai pas eu l’occasion de me rendre compte de ce qu’ils devaient faire. Ils étaient trop affairés à organiser la retraite des combattants. D’après certains dires, Hssaïn devait accompagner Zaïd Ou Hmad2vers une destination où ils devaient tous les deux organiser la protection du flanc Ouest de la Résistance. C’est probablement vers la région des lacs, près d’Imi N’lchil, le long de l’Assif Melloul et les gorges de M’semrir, précisa-t-il.

- Tu dois connaître Lahbib Ou Chattin? Il doit être en ce moment-même en route vers Sidi Yahya. Il n’est pas au courant de ce qui est arrivé. Il risque de tomber dans un piège avec les autres convoyeurs. Ils conduisent un troupeau destiné à la Résistance.

- Où les avez-vous laissés pour la dernière fois?

-A Ighrem n’Aït Ouaqqa, à Tenderchal, lui précisa Abou Ali, il y a deux jours déjà!

- Je m’en charge, dit Saïd en souriant. Ils sont sauvés. Il leur faut quatre bonnes journées de route pour y parvenir avec leurs bêtes ».

Leur interlocuteur gagna la sortie et disparut. Sa vieille mère intrépide et généreuse, apporta dans la pièce enfumée un pot noir de suie, mais sentant bon. Elle servit l’Ahrir de farine d’orge, de féculents et d’herbes aromatiques, agrémenté de quelques larmes de beurre fondu flottant à la surface de la soupe. Elle en donna de grands bols pleins à ras bords à ses invités. Dans le van en feuilles de palmier nain tapissé de laine multicolore, il y avait du bon pain doré, à peine sorti du four, et quelques doigts de beurre frais dans une écuelle de bois. Ils mangèrent à leur faim et s’endormirent enfin, confiants et sereins.


Abou Ali et son compagnon Oussidan s’engagèrent dans une ruelle étroite et tortueuse qui les mena droit à un moulin à eau. Ils longèrent un torrent formé par les eaux de la source traversant le village et s’écoulant, de chute en chute, vers l’espace‑jardins de l’agglomération. Chemin faisant, ils entendirent le bruit de l’eau sur les pales de l’aube, et celui rocailleux, de la meule écrasant le grain. Il suivirent le torrent en amont et arrivèrent sur le plateau de Tadaout. Là se tenait le petit souk d’Aghbala. Il semblait plutôt un lieu de rendez‑vous, tant les denrées mises en vente étaient rares. Il y avait par contre du bétail maigre. Le cheptel était éprouvé par l’hiver et les graves événements qui empêchaient l’utilisation habituelle des lieux de pacage et les mouvements de transhumance. Il était visible que les bêtes pâtissaient aussi de cette calamité affligeante qu’était l’occupation du Pays!

Parmi le brouhaha de la foule et les bêlements des moutons, on entendait la mélopée chantée par un trio de gens encapuchonnés. Ils tenaient un solide roseau au bout duquel flottait un morceau de tissu vert. Ils arpentaient les allées du marché en quête de soutien et de dons. Aux paroles de leur chant invariable, on comprenait qu’ils comptaient partir à pied en pèlerinage à la Mecque. Ils cherchaient des compagnons de route pour ce périple intercontinental. On avait en effet l’habitude de rencontrer sur les souks de montagne, en temps de paix, ce genre de personnages pittoresques. Ils arrivaient souvent à former une bonne équipe pour cet exploit surhumain d’où bon nombre d’entre eux ne revenaient pas. Mais ils parvenaient surtout à collecter de nombreux dons de toutes sortes. Dans les circonstances actuelles, ils étaient manifestement inconscients du danger qui les guettait. Ils se feraient immanquablement ramasser par les patrouilles des A.I. qui allaient surgir d’un moment à l’autre!

Une femme se tenait derrière un gros ballot en chantant les mérites de sa marchandise. Des enfants en guenilles étaient agglutinés autour d’elle. Elle leur vendait pour une pièce, de petites mesures de pois chiches cuites à la vapeur, saupoudrées de sel et de cumin. Des femmes venaient lui acheter des bottes de marjolaine fraîchement coupée dans les bois.

Les étalages étaient rares et maigres. Mais des âniers circulaient parmi les gens, leurs bêtes chargées de produits utilisée en pharmacopée, et de menus articles destinés à la clientèle féminine. Il se faisaient signaler par leur cri répété sans cesse : « Hân aâttar ! Hân aâttar ! »

Il y avait aussi ce tintement harmonieux et régulier que produisaient les battements alternés et adroitement rythmés de trois marteaux qui battaient le fer rougi sur l’enclume d’une forge, non loin de là. Les forgerons d’Aghbala réalisaient des prodiges. La ferronnerie était une vieille tradition de ce lieu, mais l’esprit inventif des habitants avait découvert un débouché insoupçonné aux vestiges de la machine de guerre étrangère : Les ogives et les éclats d’obus étaient ramassés et servaient à fabriquer socs, fers à chevaux, haches, pioches et autres instruments extrêmement utiles à la vie des habitants. Ils arrivaient à faire de ces morceaux de ferrailles d’autres armes qu’ils retournaient contre l’occupant !

Ainsi, dans la douleur et les spasmes de la guerre, la paix s’obstinait à ne pas vouloir mourir. Imperceptiblement, elle préparait son renouveau imminent, naturellement irrésistible ! Elle devrait, tôt ou tard, avoir le dessus sur le dragon dévastateur du mal. Car vouloir chasser la paix, c’est chasser le naturel. Comme lui, elle reviendra vite au galop !



3 Ensemble de maisons groupées tout autour d’une grande cour commune. Signifie aussi village, ou grande demeure.

2 Pluriel d’Ighrem. Voir ci-dessus.

1 Haut lieu de la résistance dans le haut Atlas central.

2 Grande figure de la résistance chez les Aït Hdiddou. Il sévit dans la région des lacs et dans les gorges de M’semrir. Capturé et emprisonné en 1936, il mourut après des années de souffrances et de captivité.... (A suivre)

(Extrait du roman "La Foi de L'Aigle", de Mohamed AKOUJAN.)