lundi 12 novembre 2007

LE DEPART POUR LE FRONT

بســـم اللــه الرحمــــان الرحيـــــم

La résistance marocaine
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Le départ pour le front

…..A la prière d’Al Maghrib1, Hssaïn vint enfin donner ses ordres brefs et fermes de commandant qui ne transigeait pas. Puis il s’en fut avec les deux hommes.

Aïcha suivit bien longtemps son fils du regard. Elle avait sur le visage l’expression étrange que devaient avoir toutes les mères, à travers l’histoire, lorsqu’elles voyaient partir leur fils au combat dont peut-être il ne reviendrait pas. Une expression où se lisait un mélange de fierté, de tristesse, de regret, et une longue prière montant de son tréfonds et s’élevant vers le ciel tout là-haut. Une expression éclairée et ombragée à la fois, rayonnante et angoissée, accentuée par le jeu auquel participaient tous les sens du corps et tous les muscles frémissants de son visage. La plainte et l’appel du regard et l’humidité lumineuse des yeux, bien plus expressifs et plus parlants que tous les discours du monde, couronnaient cette expression si humaine et si étrange!

Abou Ali, lui, savait cacher le sentiment indescriptible que lui inculquait la solennité du moment. Il préféra ne pas se retourner sur son chemin.

…………………………………..

….Au beau milieu de la nuit, il sentit un pied sur son flanc. Il se réveilla en sursaut, reprit rapidement ses esprit et se leva, sur le qui-vive. Il sentit tout d’abord la gifle de la brise fraîche nocturne sur son visage avant d’écarquiller ses yeux en contre-jour de la lueur blafarde des étoiles, réverbérée par la neige toute proche. Une silhouette trapue se penchait sur lui. Il s’entendit chuchoter par un inconnu de se préparer à partir à l’aube pour une mission d’interception d’une patrouille ennemie près de Tounfiyt, au Nord-Est du camp. On lui précisa qu’il s’agissait là d’une mission dangereuse d’où on revenait rarement indemne. Il était préférable d’aller carrément au front que d’entreprendre pareille mission où l’attaquant pouvait facilement devenir l’attaqué. Une rencontre avec des patrouilles ennemies mettrait immanquablement l’ensemble des Moujahidin en grand péril si le commando était arrêté et interrogé! D’où la nécessité impérieuse de mettre toutes les chances de son côté pour réussir sa mission. Dans le cas contraire, il fallait faire en sorte qu’aucun membre du commando ne tombe entre les mains de l’ennemi! Il ne fallait pas s’enfuir. Il fallait se battre, quitte à se faire massacrer jusqu’au dernier.

Son interlocuteur déposa près d’Abou Ali un fusil, une Tafala, un pain d’orge, une gourde d’eau, des chargeurs, et un Aâdil contenant des objets divers.

Comme une apparition irréelle, le messager de la nuit disparut comme il était venu, en silence, happé par l’obscurité impénétrable du sous-bois.

Abou Ali ne put plus se rendormir. Il avait les yeux dilatés et le regard perdu dans la nuit. Il fixait au loin le sommet d’un pic qui se détachait sur un ciel profond et limpide. Au beau milieu du grand spectacle des constellations se hâtaient vers l’Est quelques nuages déchiquetés, poussés par un vent hargneux et impitoyable qui les empêchait de se cicatriser.

Son cerveau, d’abord embrouillé, se mit à travailler à toute vitesse. Il lui fallait mieux se renseigner afin de tester ses capacités à honorer une telle mission. Mais auprès de qui? Son interlocuteur de tout-à-l’heure était déjà loin! Le souci de revenir de sa première mission indemne, victorieux, occupait le devant de ses pensées. Il voulut pouvoir obtenir plus d’informations.

La futaie semblait à ce moment, tout entière, abandonnée à la léthargie et au repos nocturne. Il lui semblait qu’il était le seul être sur la Terre à veiller de la sorte, l’esprit et les nerfs tendus, en alerte! Il prêta l’oreille et n’entendit que l’aboiement faible de quelque chien frileux et affamé. Tout près de lui, des dormeurs se renvoyaient des ronflements en guise d’invectives.

Soudain, au moment où la ligne de crête révélait, en traits de feu, les premières lueurs de l’aube, on l’appela! Il ne réalisa pas tout d’abord que c’était son nom que l’on criait et il ne répondit qu’au troisième appel. Son sang ne fit qu’un tour et son cœur battit la chamade. Il oublia tout. Il pensa que ce qu’il appréhendait était peut-être déjà là: le départ vers on ne sait quel lieu de bataille où il courrait sans doute le danger de laisser la vie.

« Et ma chère mère, se dit-il? Et Itto? et les autres? Qu’en adviendrait-il? ».

Il eut soudain un moment de faiblesse et d’hésitation. Puis se rappelant la joie et l’enthousiasme que manifestaient hier de jeunes gens comme lui, qui risquaient aussi leur vie comme lui, il se ressaisit en se rappelant ce que lui disait le Fqih de Lenda au sujet du motif du courage des Moujahidin:

« Les Roumis n’ont que cette vie éphémère, lui disait-il. C’est pour cela qu’ils œuvrent pour y trouver un certain confort, même en lésant d’autres êtres humains comme eux dans leurs droits, dans leurs terres et dans leur vie. Mais les croyants eux, ont une double chance en combattant dans le chemin d’Allah: ou ils obtiennent la victoire ici-bas, ou ils sont martyrs et ils vont au Jardin des Délices. Ils sont doublement gagnants! ».

Il se rappela la volonté de sa mère d’en faire un Moujahid, et leur vœu à tous les deux de ne jamais cesser la lutte. N’était-il pas issu d’une lignée de grands Moujahidin? Il devait honorer sa vocation, dût-il y laisser sa vie ! L’idéal était bien plus grand !

Alors il se sentit tout-à-coup des ailes. Il traversa d’un saut, en direction des appels, la nappe de brume qui, imperceptiblement, était montée des entrailles ténébreuses de la vallée profonde. Il se trouva devant Hssaïn et le sage d’hier, Sidi Ou Khouya, dont il apprit pour la première fois le nom.

(Tiré du Roman « La Foi de l’Aigle », de M. AKOUJAN.)



1 Prière du couchant.


8 commentaires:

Pas a pas a dit…

Bonjour Akoujan
J’attends toujours avec impatience la suite de votre roman, je pourrai essayer de me le procurer, mais j'ai envie de cette fabuleuse attente pour mieux en profiter
Merci pour ces agréables moments
Amitiés
Patrick

Dr Mouhib Mohamed a dit…

Bonjour si Mohamed le message de cette semaine illustre à mon humble avis la prétention romantique et historique de ton travail.
Le tableau dramatique du jeune qui se sépare de sa mére pour aller au front est trés pathétique.
J'ai également aimé la scene hiroique d'Abou Ali et Ses amis qui jette la lumiére sur une partie du déroulement de la résistance des Imazighens de l'Atlas .cette résistance dont le souvenir est ignoré d'une grande partie de la mémoire collective marocaine ,parce que les historiens dans l'ensemble ont tourné le dos à la guerre qui a opposée face à face les habitants de cette région à l'armée coloniale.Merci si Mohamed pour le bonheur que tu nous donne par tes beaux textes .Salam oualikoum

AKOUJAN a dit…

Bonjour Patrick,
C'est un plaisir renouvelé que de rencontrer sur nos blogs des gens qui vous apprécient et vous encouragent. Ce sera un bien plus grand plaisir pour moi en particulier lorsque nous aurons tous, chacun de son côté, l'occasion ne nous lire mutuellement. Ainsi, à travers nos ouvrage, les ponts seront jetés afin de couronner cette maxime divine de chez nous qui dit: " Nous vous avons créés d'un homme et d'une femme et avons fait de vous des tribus et des peuples pour que vous vous entreconnaissiez". Le livre est un excellent moyen justement pour réaliser la connaissance mutuelle et l'atténuation des différenciations néfastes entre les fils d'Adam. Cela dépend de ce noble objectif.
Merci Patrick pour votre présence sur le blog de vos beaux commentaires si aimables, et qui me font un grand plaisir.

AKOUJAN a dit…

Salamualaikum Si Mohamed,
Je ne sais pas quand j'aurai l'occasion de pouvoir faire imprimer ou réimprimer mes textes, rien que pour pouvoir en offrir à mes amis... et aussi faire un petit geste de charité: en effet, une bonne partie de la collection est d'ors et déjà réservée à une oeuvre de bienfaisance en faveur d'orphelins et enfants abandonnés.
J'espère pouvoir en vendre assez pour concrétiser ce rêve.
J'espère aussi pouvoir réaliser parallèlement cet autre rêve de faire lire ces textes à la descendance des amazigh qui ont connu les périodes et les péripéties abordées, afin de contribuer à amener les générations présentes issues de ces résistants à une réflexion sur les racines, les origines, les valeurs et l'histoire, en somme sur les ingrédients susceptibles de raviver et réactiver chez eux des motifs de fierté à l'égard de leur passé et de leur grand Pays.
Merci Si Mohamed pour avoir voulu donner une bien plus grande dimension à ces modestes écrits, et pour le grande joie de te retrouver régulièrement, sur ton très beau site, puis ici.
Fraternellement.

Majid Blal a dit…

Bonjour Si Mohamed.
Quelles belles et imageries et quelle belle sensiblité à l'environnement immédiat. Il faut être né dans les hauteurs pour scruter en permanence le ciel pour y puiser l,amour de sa terre. Un bout de ciel devient un repère quand on a les pieds bien plantés sur un lieu de mémoire. Un lieu qui définit à lui seul les fondements d,une identité.
" A man without a land is nobody" disait quelqu'un.
Comment se réclamer d,un lieu quand on ne connait pas une à une ses étoiles? Quand la voiture commence à grimper la cote d'Elhajeb, J,ai toujours une pensée réconfortante qui monte de mes entrailles " à partir d'ici, Mon ciel, mes étoiles vont me reconnaitre, je suis en terrain, plutôt en ciel connu".
"...Sur son visage avant d'écarquiller les yeux en contre-jour de la lueur blafarde des étoiles..." "..happé par l'obscurité impénétrable des sous bois" Et la plus belle " Au beau milieu du grand spéctacle des constellations se hâtaient vers l'Est quelques nuages déchiquetés, poussés par un vent hargneux et impitoyable qui les empêchait de se cicatriser" Quelle poésie dans un moment aussi grave ou la vie et lamort se cotoient et se chevauchent.
Quel beau témoignage d,amour à une contrée quand on peut discuter avec le ciel. Gagner son ciel est d,abord se faire une place honorable sur sa terre.
Quand je vois les amérindiens vivre en étranger sur leur propre continent, je me dis que l'Amazigh en moi ne l'aurait jamais accepter. Les algonquins comme les différentes factions d'indiens au Canada n,ont pas le droit légalement de posseder un morceau de terre sous pretexte qu'ils appartiennent à celle ci et par conséquent ils n'ont pas de raison d'être propriétaires. même sur leurs miniscules reseves, ils ne peuevent construire de maisons avec solage( fondations) car cela signifie qu'ils se sédentarisent ce qui leur est interdit par les gouvernements BLANCS. Ils vivent dans une pauvreté incroyable mais ils demeurent fiers car leur instinct grégaire les pousse à vivre ensemble dans la pauvreté plutôt que d,avoir des réussites individuelles. Bref J'ai bifurqué un moment mais le lien subsiste en l'amour de sa terre. Ils écoutent et conniassent les éléments environnants mieux que quiconque comme d'ailleurs les personnages de votre beau récit.
majid

AKOUJAN a dit…

Bonjour Si Majid,
Je viens juste de rentrer de Rabat.. et comme toi, en apercevant les sommets de l'Atlas, comme tu as eu l'occasion de le ressentir en entamant la montée vers El Hajeb, j'ai eu une faiblesse due à cet attirance magnétique surprenante et irrésistible vers cette immense couveuse qui nous à vu naître: la montagne majestueuse! J'ai toujours dit que sans ses Atlas, le Maroc n'est pas le Maroc! La manne de bienfaits que ces montagnes déversent sur les plaines pays, depuis des ères immémoriales, a fait du Maroc un pays béni. ... Et même face au grand océan de sable qu'est le désert, ses montagnes préservent le Maroc de la désertification. Une protection divine!
En relisant les phrases que tu as glanées dans mon texte, je me sens si fier, et si confus à la fois: fier que Si Majid, écrivain de renom, trouve que cela a du sens. Mais confus car, et j'en suis persuadé, ce n'était là que pour meubler mon temps de vieux retraité que j'ai écrit cela.
Il est vrai que la situation des Imazighen sous l'occupation n'avait rien à voir avec celle non enviable des amérindiens. Ces peuplades, traquées ici, dépossédées là, massacrées ailleurs, assimilées à des bestiaux partout, dépossédées mêmes de leur existence (passé, culture, histoire, et même de leur nomination et identité nationale...)subissent les effets du syndrome de l'héritage romain (culture de la violence, de l'outrance, du complexe de supériorité, du culte du corps et de la personne..., puis du darwinisme...). Des victimes éternelles d'une immense injustice qu'on s'ingénie à perpétuer à travers le monde.
Dans mon ouvrage justement, j'en ai fait brièvement mension:
"...Cette campagne de conquête et de colonisation n’était qu’un prolongement bien pâle de la découverte des Indes et des Amériques. Elle en avait gardé le mobile et la philosophie: les terres d’abord pour construire un empire. Les autochtones, indigènes et autres aborigènes étaient un encombrement qu’il fallait éliminer. Ces peuplades étaient astreintes à devenir autant que faire se pouvait, un des instruments de conquête, dont il fallait renforcer la panoplie1. Mais le cas du Maroc n’avait pas manqué d’être un méchant os dans la gorge de cette même campagne. L’ennemi en ignorait des dimensions majeures. Pourtant, il ne devait pas omettre l’évidence-même : la culture populaire découlant d’une civilisation à part entière, et l’histoire qui témoigne d’apports grandioses au patrimoine universel et de faits de lutte et de résistance, non moins majeurs. Ces caractéristiques avaient jalonné le Temps sur des siècles, donnant à l’histoire du Royaume ses lettres de noblesse et sa renommée. Le Maroc, comme feignaient de ne pas le savoir les instances qui campaient derrière cette campagne de conquête, était à des années-lumière de ce qu’était la Papouasie ou l’environnement précolombien chez les amérindiens!"
Il y a longtemps, j'ai eu l'occasion de visiter dans le Sud des Etats Unis des tribus "de la nation première" (Pimas, Maricopas, Navajos, Apachees..., de voir l'Intertribal Indian Ceremonial à Albuquerque, et de visiter la grotte de Jeronimo en Arizona. Je me suis entretenu avec des vieux dans les "indian reservations", et j'ai été bouleversé. Ma conception des choses en matière de rapports humains a changé définitivement.
Je vous remercie vivement pour vos appréciations si émouvantes et bien vivifiantes aussi.
Fraternellement.
AKOUJAN

S.Abdelmoumène a dit…

Bonjour Si Akoujane,

Fabuleux passage du "Foi de l'aigle".
En induction à Abou Ali, je ne sais s'il y a un lien, je t'envoie ce petit témoignage.

On avait un "ourti" à Ait Bouali sur le flanc droit à 10 Km avant Tounfiyt sur une piste de 18 km en perpendiculaire à la route goudronnée. J'y accompagnai, mon père, de temps à autre pour jeter un coup d'œil. J'avais un fusil à plomb, comme ceux de la foire, je tirai les boites de lait vides "Purisima" et je faisais le fanfaron quand j'en touchais une.
Un jour un "Amghar" s'est approché de moi, il devait avoir au moins 75 ans. Il me dit :"c'est facile ce que tu fais là, c'est une cible immobile que tu tire, essayes de faire la même chose maintenant". Il prit la boite et l'a jeta en l'air. Bien sûr, je n'arrivai pas à la toucher une fois, 2 fois, 3 fois...Rien à faire. J'avais alors 14 ou 15 ans. Ma première réaction était de lui dire que c'était difficile et personne ne le pourrait.
- "Aouid Adanaygh, Dourinou !" : Donnes ton fusil me dit-il je vais essayer à mon tour
Je me suis mis à rire en lui remettant le fusil. Je faisais donc à mon tour le lanceur.
Ce vieillard, mon ami, qui répondait au nom de Hmidouch (si ma mémoire est bonne)a fait mouche trois fois de suite sur une cible que je jetais en l'air à chaque fois en changeant de sens. Il m'a vraiment laissé pantois. J'ai découvert plus tard que c'était un ancien résistant de la région et que les armes n'avaient aucun secret pour lui....

En mémoire à nos ancêtres, ceux qui ont fait l'histoire pour nous, à ces vaillants guerriers, ces tireurs d’élite et ces grands combattants berbères de l'Atlas.

AKOUJAN a dit…

Salam Si Abdelmoumène,
Si l'on étudie les interstices des composantes de l'Histoire, et en déchiffrant les traces du passé, assurément on trouve le lien.
Mon ourthi historique est la futaie de cèdres majestueux de part et d'autre de la piste reliant Tounfiyt à Tiqajouin n'Ait Hnini, dévastée par des clients de Bou3ari's véreux qui se sont succédés pour soit-disant garder ce fabuleux biotope si précieux. La piste conduisait, en bifurquant vers le Sud, à Sidi Yahya ou Youssef. Un lieu hautement sacré où les combattants se rassemblaient et requéraient la bénédiction du Saint avant de se lancer dans la confrontation avec l'ennemi.
Abouaali de l'histoire avait fait son baptême du feu en ces lieux, avant de se lancer vers Tazigzaout et Bouattass chez les Ait Sokhman, et réaliser des exploits surhumains pour défendre la terre et l'honneur contre les armée d'un Mangin impitoyable, dont la soldatesque lançait des grenades Shneider antipersonnelles dans les grottes et massacraient vieillards, femmes et enfants. Ils prenaient des enfants en otage, et profitaient du dénuement des gens pour bourrer d'explosifs des pains de sucre et les envoyer aux chefs des moujahidines par le biais de traitres véreux.
L'homme que tu as rencontré avait sûrement bien des choses à dire, mais... sa manière de tirer avec ta carabine et de faire mouche à chaque fois est bien éloquent.
Comme tu le dis si bien:
"En mémoire à nos ancêtres, ceux qui ont fait l'histoire pour nous, à ces vaillants guerriers, ces tireurs d’élite et ces grands combattants berbères de l'Atlas."
Amitié.