La résistance marocaine
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Le départ pour le front
…..A la prière d’Al Maghrib1, Hssaïn vint enfin donner ses ordres brefs et fermes de commandant qui ne transigeait pas. Puis il s’en fut avec les deux hommes.
Aïcha suivit bien longtemps son fils du regard. Elle avait sur le visage l’expression étrange que devaient avoir toutes les mères, à travers l’histoire, lorsqu’elles voyaient partir leur fils au combat dont peut-être il ne reviendrait pas. Une expression où se lisait un mélange de fierté, de tristesse, de regret, et une longue prière montant de son tréfonds et s’élevant vers le ciel tout là-haut. Une expression éclairée et ombragée à la fois, rayonnante et angoissée, accentuée par le jeu auquel participaient tous les sens du corps et tous les muscles frémissants de son visage. La plainte et l’appel du regard et l’humidité lumineuse des yeux, bien plus expressifs et plus parlants que tous les discours du monde, couronnaient cette expression si humaine et si étrange!
Abou Ali, lui, savait cacher le sentiment indescriptible que lui inculquait la solennité du moment. Il préféra ne pas se retourner sur son chemin.
Son interlocuteur déposa près d’Abou Ali un fusil, une Tafala, un pain d’orge, une gourde d’eau, des chargeurs, et un Aâdil contenant des objets divers.
Comme une apparition irréelle, le messager de la nuit disparut comme il était venu, en silence, happé par l’obscurité impénétrable du sous-bois.
Abou Ali ne put plus se rendormir. Il avait les yeux dilatés et le regard perdu dans la nuit. Il fixait au loin le sommet d’un pic qui se détachait sur un ciel profond et limpide. Au beau milieu du grand spectacle des constellations se hâtaient vers l’Est quelques nuages déchiquetés, poussés par un vent hargneux et impitoyable qui les empêchait de se cicatriser.
Son cerveau, d’abord embrouillé, se mit à travailler à toute vitesse. Il lui fallait mieux se renseigner afin de tester ses capacités à honorer une telle mission. Mais auprès de qui? Son interlocuteur de tout-à-l’heure était déjà loin! Le souci de revenir de sa première mission indemne, victorieux, occupait le devant de ses pensées. Il voulut pouvoir obtenir plus d’informations.
La futaie semblait à ce moment, tout entière, abandonnée à la léthargie et au repos nocturne. Il lui semblait qu’il était le seul être sur la Terre à veiller de la sorte, l’esprit et les nerfs tendus, en alerte! Il prêta l’oreille et n’entendit que l’aboiement faible de quelque chien frileux et affamé. Tout près de lui, des dormeurs se renvoyaient des ronflements en guise d’invectives.
Soudain, au moment où la ligne de crête révélait, en traits de feu, les premières lueurs de l’aube, on l’appela! Il ne réalisa pas tout d’abord que c’était son nom que l’on criait et il ne répondit qu’au troisième appel. Son sang ne fit qu’un tour et son cœur battit la chamade. Il oublia tout. Il pensa que ce qu’il appréhendait était peut-être déjà là: le départ vers on ne sait quel lieu de bataille où il courrait sans doute le danger de laisser la vie.
« Et ma chère mère, se dit-il? Et Itto? et les autres? Qu’en adviendrait-il? ».
Il eut soudain un moment de faiblesse et d’hésitation. Puis se rappelant la joie et l’enthousiasme que manifestaient hier de jeunes gens comme lui, qui risquaient aussi leur vie comme lui, il se ressaisit en se rappelant ce que lui disait le Fqih de Lenda au sujet du motif du courage des Moujahidin:
« Les Roumis n’ont que cette vie éphémère, lui disait-il. C’est pour cela qu’ils œuvrent pour y trouver un certain confort, même en lésant d’autres êtres humains comme eux dans leurs droits, dans leurs terres et dans leur vie. Mais les croyants eux, ont une double chance en combattant dans le chemin d’Allah: ou ils obtiennent la victoire ici-bas, ou ils sont martyrs et ils vont au Jardin des Délices. Ils sont doublement gagnants! ».
Il se rappela la volonté de sa mère d’en faire un Moujahid, et leur vœu à tous les deux de ne jamais cesser la lutte. N’était-il pas issu d’une lignée de grands Moujahidin? Il devait honorer sa vocation, dût-il y laisser sa vie ! L’idéal était bien plus grand !
Alors il se sentit tout-à-coup des ailes. Il traversa d’un saut, en direction des appels, la nappe de brume qui, imperceptiblement, était montée des entrailles ténébreuses de la vallée profonde. Il se trouva devant Hssaïn et le sage d’hier, Sidi Ou Khouya, dont il apprit pour la première fois le nom.
(Tiré du Roman « La Foi de l’Aigle », de M. AKOUJAN.)