lundi 5 novembre 2007

La nouvelle recrue

بسم الله الرحمـــــن الرحيـــــــــم


La résistance marocaine.

La nouvelle recrue.

….Hssaïn et son compagnon entrèrent rapidement, et sans autre cérémonial, ils invitèrent le vieil homme à parler à voix basse et à les écouter attentivement. Moha fit un signe d’apaisement aux deux femmes qui s’approchaient, et Abou Ali sortit de sa cachette précaire improvisée!

« Une grosse colonne ennemie a été défaite près d’ici, dit Hssaïn. C’est une véritable chasse à l’homme dans les taillis avoisinant pour capturer les fuyards. Un commando se charge de leur couper la route et les liaisons avec les «Qechla1 ». Votre maison domine l’entrée du chemin. Elle a une bonne vue sur le cirque en face. Lâarbi restera avec vous pour assurer la garde et donner l’alerte. Il coupera la retraite aux éventuels fuyards qui seraient amenés à s’approcher des environs. »

Puis se tournant vers Abou Ali, et sans s’attarder à poser de questions pour l’identifier, il dit:

« Nous avons besoin d’hommes là-haut! As-tu une arme?

-Non, dit Abou Ali, je...

-Prends ma Tafala2 pour commencer! lui dit-il sans le laisser terminer sa phrase. Tu prêteras main forte à Lâarbi, puis tu viendras avec lui au signal ». Et il disparut aussi promptement qu’il était apparu.

Abou Ali ne savait quoi faire de cette Tafala dans son bel étui. Il la considéra en la tournant et retournant sans mot dire. Il avait l’habitude de sa fronde qu’il maniait comme un prodige, mais aussi de son fusil dont il avait à se servir des fois. Il fit rapidement un inventaire de ses possibilités, et nombre de questions vinrent à son esprit: il ne connaissait pas le terrain, ne savait pas qui était qui, ni comment les combattants étaient organisés. Il s’agissait de sa vie et il devait tout d’abord se renseigner.

Le regretté Âamjan l’avait un peu informé. Il l’emmenait pour donner un coup de main lorsque les opérations ne devaient pas se dérouler trop loin de chez lui. Mais c’était à l’occasion de courtes sorties sans grand danger, où il fallait rarement faire un baroud d’honneur. Et puis la présence du valeureux Âamjan à ses côtés était rassurante. Le regretté était pour lui un véritable rempart!

A présent, il se sentait seul face à l’inconnu. Il se trouvait en présence de gens dont­‑à l’exception de ses hôtes et des deux hommes en arme‑il ne connaissait même pas le nom. Mais il pensa au courage exemplaire de son père, de ses frères aînés et surtout de Âamjan, et ces pensées lui rendirent quelque contenance. Il se rappela aussi le serment qu’ils avaient fait, sa mère et lui, avant de quitter leur maisonnette du bord du lac. Il s’aperçut alors qu’il ne pouvait qu’aller de l’avant et confier son destin à la providence.

Il commençait à reprendre courage lorsque Lâarbi, qui semblait avoir lu sur son visage et dans ses pensées, tour à tour sa détresse, puis ses préoccupations, puis sa résignation, lui mit la main sur l’épaule et lui dit à voix basse:

« A partir de maintenant, tu es mon frère. Nous partagerons tout. Nos repas, notre grotte là-haut, nos munitions, nos vêtements, et même notre tombe s’il le fallait. Tu es courageux puisque tu es arrivé jusqu’à nous. On s’en sortira avec l’aide d’Allah! »

Puis il se tourna vers Aïcha pour la rassurer. Mais celle-ci avait l’air radieux. Elle le considérait avec indulgence. Elle lui dédia un regard reconnaissant, plein d’affection: Ce jeune homme qui allait faire de son fils un vrai combattant lui rappelait son regretté Âamjan. Mais c’était aussi lui qui allait peut-être devenir l’instrument de ce destin qui allait sans doute le lui arracher à jamais, pensa-t-elle avec appréhension!

Abou Ali avait senti la main de Lâarbi sur son épaule comme celle d’un ours: il était fort et musclé. Il eut un peu honte en pensant qu’il ne pourrait peut-être pas être à la hauteur, le moment venu.

Les deux hommes parlèrent longuement. Lâarbi lui prodigua les enseignements de sa propre expérience. Il lui apprit les noms des chefs de groupes, lui indiqua les positions tenues et les chemins à suivre. Il lui expliqua aussi qu’il aurait à braver des dangers réels et côtoyer la mort. C’était le lot des résistants. Car dès lors, Abou Ali devait savoir qu’il avait fait don de son être et de sa vie pour défendre son Pays et les siens. Il se sentait un autre être, entre deux monde, l'un fait de rêve et d'inconnu, le fascinant et l'appelant irrésistiblement, l'autre supportait encore ses pieds et son corps, et était prêt à le cracher quelque part, à le catapulter sur un fil de rasoir où le moindre faux pas le soustrairait à jamais à la vie. Larbi, pour lui donner un peu d'assurance, lui promit de tout lui enseigner sur l'art de survivre, et de lui apprendre le maniement des nouvelles armes dont la Résistance disposait.

Tout en parlant, Larbi avait un sourire permanent aux lèvres. Un sourire de celui qui en avait vu dans sa vie, qu’aucun danger ne pouvait ébranler, et que rien ne pouvait plus étonner. Mais aussi un sourire assuré, de celui qui était au fait de son affaire et convaincu de son but. Celui qui ne voyait au bout de ce tunnel de désespoir, que l’infime point de lumière de l’espoir, bien lointain. Un fil si ténu, si arachnéen le rattachait à cet îlot d’espoir, mais auquel il était accroché tout entier, corps et âme, comme un noyé à sa planche du salut. Il ne vivait que nourri par la certitude de la victoire toute proche!

A la prière d’Al Maghrib1, Hssaïn vint enfin donner ses ordres brefs et fermes de commandant qui ne transigeait pas. Puis il s’en fut avec les deux hommes.

Aïcha suivit bien longtemps son fils du regard. Elle avait sur le visage l’expression étrange que devaient avoir toutes les mères, à travers l’histoire, lorsqu’elles voyaient partir leur fils au combat dont peut-être il ne reviendrait pas. Une expression où se lisait un mélange de fierté, de tristesse, de regret, et une longue prière montant de son tréfonds et s’élevant vers le ciel tout là-haut. Une expression éclairée et ombragée à la fois, rayonnante et angoissée, accentuée par le jeu auquel participaient tous les sens du corps et tous les muscles frémissants de son visage. La plainte et l’appel du regard et l’humidité lumineuse des yeux, bien plus expressifs et plus parlants que tous les discours du monde, couronnaient cette expression si humaine et si étrange!

Abou Ali, lui, savait cacher le sentiment indescriptible que lui inculquait la solennité du moment. Il préféra ne pas se retourner sur son chemin.

On apprit le lendemain que la grosse colonne défaite avait rapporté à la résistance armes et munitions, denrées de toutes sortes, tissus en grande quantité, et bêtes de somme en grand nombre. La plupart des soldats ennemis avaient été faits prisonniers, et les autorité militaires, sur les dents, opéraient des ratissages dans la région.

Des soldats ne tardèrent pas à venir inspecter le petit hameau d’Alemsid. Ils n’y trouvèrent que des femmes, des enfants et des vieillards invalides!

Quant à Abou Ali, armé de sa Tafala et de sa fronde, il s’était laissé catapulter par une autre fronde, celle du destin, en pleine épopée. Sa vie antérieure lui sembla un rêve plat, futile et sans saveur. Il allait faire de ces montagnes dont il ne pouvait voir les crêtes que de loin, tel l’aigle, son repaire et sa patrie à défendre.



1 Prière du couchant.


(Tiré du roman «La Foi de l’Aigle » de M. AKOUJAN)


1 Poste de garde, de guet et de combat, le plus souvent fortifié. Ce nom vient probablement du nom andalous « Qechtala », et espagnol « Castilla ».

2 Arme blanche, mi-poignard, mi-épée, faite pour le combat au corps à corps, bien connue au Maroc.

6 commentaires:

Pas a pas a dit…

Bonjour Akoujan
Je ne peux que m'incliner devant un tel texte
Le descriptif, utilisation des verbes, des adjectifs tout y es,
vraiment bien écrit ,c'est un régal, je ne manquerai pas les prochains épisodes
amitiés
patrick

Dr Mouhib Mohamed a dit…

Bonjour Si Mohamed,
Dans tes ouvrages "le sang de l'oeil" et "la foi de l'aigle", je pense que tu es le premier à t'intéresser aux séquences de vie "des petites gens " de la région d'Aghbala. Tu as su brosser avec talent la vie d'une communauté berbère confrontée aux viscissitudes de l'existence. Les personnages de tes romans , tous de vaillants résistants, sacrifient leur vie pour l'indépendance du pays. Et ils le font avec la responsabilité et la dignité de vrais amazighs.
Merci pour ces pages de bonheur.
Salam.

Majid Blal a dit…

Bonjour Si Mohamed. Il un énrme travail de recherche dans tes ouvrages qui donne aux personnages l'authenticité requise et la posture postulée. J,aime ces élans de dignité dans les dialogues. Ces mots pesés qui une dits, cela nous amene à tourner énérgiquement la tête vers le protagoniste à qui ils sont adressés pour surpendre dans ses yeux son jugement et sa réaction immédiate. Les prénoms, j,allais dire que c.est presque une trouvaille car plusieurs me sont, soit inconnus, soit repéchés au fond de ma mémoire. Un écrivain québécois(Bibeau)qui dit" C,est moins l,histoire qui compte que le ton sur lequel elle est racontée" et le tien est juste.
Merci de nous gratifier du son du juste dans des sagas où le mondre geste,la moindre parole, font l,histoire d,un peuple.
Majid

AKOUJAN a dit…

Bonjour Patrick,
C'est réellement de la joie pour moi lorsque j'aligne des mots sur des pages que j'ai été tenté mille fois de rebuter aux oubliettes, en pensant que, peut-être, le terrain sera favorable et que la graine germera: L'angoisse de ne pas trouver un public reconnaissant... et compatissant à qui les donner en pâture, étreint toujours le débutant dans le domaine de l'écriture. C'est essoufflant d'y penser et de ressasser la question secrète: Pour qui écris-je? Le public n'est pas UN, c'est tout un monde. Et chaque composante de ce monde est une entité à part entière, dont il faut tenir compte.
Mais heureusement, il existe des dénominateurs communs à toutes ces composantes. Ce sont autant de cordes à la harpe de celui qui est tenté d'écrire pour s'adresser à un lectorat public. Il faut tenter de bien jouer sur les cordes et faire bonne impression. Difficile!
Merci cher ami pour les encouragements et pour l'intérêt aussi.
Amitié.

AKOUJAN a dit…

Salamualaikum Si Mohamed,
Tu le sauras un jour, que la retraite est un état curieux pour le retraité. Rompre avec la vie active sans avoir un rêve à réaliser et un idéal à atteindre en guise de "broderie" pour meubler son temps, mène droit à une traversée de désert sans fin qui induit même un état psychologique bouleversant pour l'intéresse. Je suis persuadé que mes modestes écrits entre autre, sont une thérapie pour tenir en partie en échec l'angoisse de l'après fin de carrière. C'est aussi un rêve, de contribuer à la réanimation d'un débat historique, culturel et identitaire largement négligé, et dont l'ordre du jour, reporté de décennie en décennie, frise le point de non retour.
Mes ouvrages bien modestes n'ont pas l'ambition de dire la réalité exacts de l'Histoire. Certains personnages ne sont pas réels. Les péripéties subissent du remplissage ... etc Mais le temps et les lieux géographique constituent une broche sur laquelle j'ai enfilé pèle-mêle les différentes parties de mes textes. En effet, pour rassembler l'ensemble des éléments - rien que ce fait - pour raconter fidèlement l'histoire telle qu'elle est, il faut toute une vie.
Ces ouvrages n'ont pas l'ambition de constituer des chroniques exactes, ni même des récits. Ils s'inscrive dans le cadre de l'approximation d'histoires romancées, qu'il faut lire avec beaucoup de prudence...
L'essentiel de mon but, c'est de rediriger l'attention sur un très large pan de notre patrimoine précieux, et contribuer à la réflexion pour une tentative de réactualisation et de rafraichissement de notre mémoire populaire.
Je sais que mes histoires te rappellent bien des choses et bien des noms, et c'est un grand honneur pour moi.
Merci Si Mohamed, du fond du cœur.

AKOUJAN a dit…

Salam Si Majid,
J'en apprends vraiment avec toi. Il m'arrive d'aller reprendre tes interventions depuis d'anciens messages que tu as postés sur le blog de Si Mohamed Mouhib, cherchant une tournure inédite, un mot littéraire précis et "précieux", de véritables citations dont tu nous réserves l'exclusivité.
" C'est moins l'histoire qui compte que le ton sur lequel elle est racontée"... je crois aussi à cela. La faiblesse de la description imagée peut souvent être compensée par un ton dont la structure présente moins d'aspérités inutiles.
A propos de ton, je n'ai de cesse de lire et relire tes très beaux poèmes.
Encore merci Si Majid. Tes interventions nous comblent.