lundi 29 octobre 2007

PAIX ET EQUITE


Le sens de la paix, de l'équité et du droit dans l'organisation tribale au Maroc

L’organisation tribale au Maroc reposait sur de nobles principes et une pensée sophistiquée aux plans politique et philosophique. Le nom de chaque confédération de tribus est éloquent à ce sujet. Il devait être apaisant envers le monde intra tribal et intra confédération, mais aussi envers l’environnement humain extérieur et le voisinage. Il devait être de bon augure, et schématiser la morale et l’éthique, et même la foi et les croyances.

La confédération ne pouvait exister sans le consensus général, à l’issue d’un forum où tous les membres de chaque tribu constitutive avait droit à la parole. Les sages guidaient les discussions, et suggéraient les éléments d’un accord.

En général, comme tout ensemble qui nait, grandit, puis vieillit, des tribus avaient besoin de se confédérer lorsqu’elles se trouvaient face à un danger commun, ou avaient des intérêts communs ou des droits sur un espace commun, ou lorsque la confédération, trop peuplée, avait besoin de nouveaux espaces pour s’étendre, rivaliser avec le voisinage, commençait à se disloquer. Le pacte conclus comportait toujours des volets subsidiaires sauvegardant les droits de chacune des communautés confédérées et réglant les limites à observer.

Le pacte est scellé ensuite par des actes sacrés : un serment solennel, un allaitement, un geste de fraternité etc…

Le sceau du pacte- l’acte sacré- permettait de donner un nom à la nouvelle congrégation.

Ainsi trouve-t-on des noms évocateurs désignant les grands ensembles de tribus, tels :

- Les Ait Yafelmane: Rassemblés par un pacte de paix et de sécurité, tant pour les membres que pour tout ceux qui les approchent. Tous devraient trouver la paix au sein des tribus confédérées.

- Les Ait TaDa : Ce sont ceux que l'allaitement a rassemblés, et qui sont devenus, de près ou de loin, des frères de lait (ImseTTidn).

- Les Ait M’Gill : Ce sont ceux qui se sont alliés sous serment (Imegguillane)

- Les Idoukkaln : Ceux qu’une alliance d’amitié rassemble (Tiddoukla). Les Idoukkaln, (Doukkala), ont pour origine le versant Nord du Jbel M’goun) etc…

Ce que l'on peut retenir, c’est que ce système d’alliance est efficace à tout point de vue :

- Il est démocratique, avec une note originale du sens démocratique.

- Il repose sur les nobles principes révélés dans les grandes religions célestes,

- Il est issu à long terme de procédés éprouvés à travers les âges, et à court terme, de besoins réel et non d'échéances préétablies.

- Il implique directement ou indirectement la voix de l’individu, à la base et comme au sommet.

Il suffisait, jusqu’à une époque très proche de nous, de constater l’efficacité de ces alliances lorsque, dans un lieu public, un souk par exemple, survient un incident. Chacun reconnaît alors les siens et dit : « OuthaDa nou », « Imegguilli nou », etc… Cet état de chose sert à contenir la tension en attendant l’intervention des sages pour régler le problème sans effusion de sang. La persuasion est spontanée, et la paix est sauvée par le système – même.

Cette forme de démocratie chez les imazighen se manifeste également lorsqu’il s’agissait d’élire un nouvel Amghar (ou AnebbaD).

Lorsque l’Amghar en exercice meurt, ou lorsqu’il n’est plus en état d’assumer ses responsabilités, les sages et les notables se réunissaient à huis-clos.

Ils établissent la listes de plusieurs pressentis, et les soumettent à des critères bien connus : Avoir plus de quarante ans d’âge, avoir des enfants, posséder sa propre fortune, connu pour son intégrité et pour le respect de la parole donnée etc…

Lorsque les sages et les notables parviennent à un accord sur la personne, ils vont la trouver chez elle, sous un prétexte quelconque.

Après le thé, l’un d’eux lui annonce la décision le concernant. L’intéressé refuse . Ils insistent! Ils présente des motifs : il peut à peine s’occuper de ses propres affaires, il craint de porter atteinte sans le vouloir aux intérêt de la tribu… Ils refusent ! Il craint de porter un tort à quelqu’un. Ils refusent ! Lorsqu’il est au bord des larmes, ils lui annoncent alors que, justement, la tribu a besoin d’un homme comme lui qui refuse de porter le poids de cette lourde responsabilité, et qu’en se défendant, il ne faisait que s’impliquer d’avantage !

La « victime » se tait.

Le lendemain, sur la pelouse d’un Almou, les représentants de chaque Ighess viennent jeter, à tour de rôle, un brin d’herbe sur un burnous étendu à même l’herbe. Ce geste signifiait que chacun, au nom de sa fraction, donnait son accord pour la désignation du nouvel Amghar. La nature était le bulletin de vote et l’urne en même temps. La transparence était totale.

Ensuite la fatiha est lue.

Tous invoquent Le Créateur pour qu’Il accorde longue vie à leur Amghar.

Ensuite c’est la fête durant des jours pour que tout un chacun sache que le nouvel Amghar est bien un-tel. La publicité électorale vient après l’élection et non avant comme c’est la pratique de nos jours chez nos contemporains qui recherchent, eux, le profit, et font fi de ce qu'est réellement la responsabilité.

« Nous avions proposé aux cieux, à la terre et aux montagnes la responsabilité (de porter les charges de faire le bien et d'éviter le mal). Ils ont refusé de la porter et en ont eu peur, alors que l'homme s' en est chargé; car il est très injuste (envers lui-même) et très ignorant. (Al-Ahzab, 72) » Coran.

Mohamed AKOUJAN

8 commentaires:

Pas a pas a dit…

bonjour Akoujan
que de plaisr a lire cet article
je decouvre le sens des tribus et cela me rapproche encore plus
une question
de nos jour une nouvelle tribu peut elle se creer?
Tous les marocains appartiennnet t'il à une tribu?
amities
patrick

AKOUJAN a dit…

Bonjour Patrick,
Tout le plaisir est pour moi.
Pour répondre à vos deux questions:
- Le système tribal appartient à présent au passé. En optant pour la modernité, les autorités marocaines, dès l'avènement de l'indépendance du pays, ont refait le découpage territorial et légiféré pour qu'il en soit ainsi. Par conséquent, il est impossible de créer d'autres tribus sans enfreindre les lois.
- 2e question: Oui tous les marocains appartenaient bien à une tribu dans le passé. Les étrangers à la tribu devaient se soumettre un une procédure traditionnelle pour pouvoir être adoptés par la tribu de leur choix. Ils obtiennent alors des privilèges, des concessions en terres, pouvaient se marier dans la tribu etc... Ils deviennent alors membres à part entière.
amitiés.

Dr Mouhib Mohamed a dit…

Bonjour Si Mohamed,
J'ignorais l'origine des noms Ait Myild ainsi que celui de Doukkala.
J'ignorais également les modalités vraiment démocratiques du choix de l'amghar comme j'ai beaucoup aimé l'idée géniale de l'urne verte .
Tu m'apprends décidément beaucoup de choses sur les institutions ancestrales berbères .
Continues à nous émerveiller!
Merci.

AKOUJAN a dit…

Salam Si Mohamed,
Par cet article, je souhaite appeler l'attention de plus savant que moi pour apporter plus d'éclairages et étayer mes bribes cognitives dans ce domaine.
Il est vrai que l'histoire de la culture des Imazighen est un océan à l'échelle de l'immense page qu'ils ont écrite dans les ères, et qu'on manque actuellement de "plongeurs" pour aller en cueillir les perles.
En effet, il y a des traces édifiantes qui peuvent apporter quelques éclairages, ne serait_ce que la signification (et les circonstances) des noms de tribus, des lieux-dits, des montagnes, des rivières etc...
Merci Si Mohamed d'avoir apprécié mes improvisations.
Salamualaikum wr Allah

S.Abdelmoumène a dit…

Bonjour Si Akoujan

Une leçon riche d'enseignements à nos apprentis représentants. Ils gagneraient à s'inspirer de la vraie démocratie amazigh.

Merci pour ce rappel ! Oh combien honorifique pour les marocains les vrais, ceux qui aiment la droiture, l'équité et la bienséance. Si au moins nos responsables ont la notion des larmes de refus de l'élu (Amgahr), qui a peur de faillir à son devoir.

Majid Blal a dit…

Bonjour Si Mohamed
Que d'ignorance a accompagné notre apprentissage de nous même! Nous avons passé à coté de notre histoire en TGV en se précipitant vers une identité fictive livrée dans du papier cadeau. Je viens d'apprendre en l'espace d'un article des faits et des pratiques grandioses et qui sont tombées dans la désuétude et l'oubli.
Je croyais, et je ne sais pas comment, que les Doukalas avaient comme nom Amazigh Mesnaoua référence à Tamsna. Que de faussetés et de médiocrités dans la connaissance de nous même!
Il faudrait bien un travail énorme de DÉCONSTRUCTION brique par brique d,un apprentissage de L,histoire locale pour remonter les fondations selon un schema honnête, instructif et formateur d,une fierté de soi même et de ses racines.
Continue bien de ton coté à nous enseigner nous même, Doc Mohamed Mouhib fait aussi de son coté un bon boulot. À nous de nous déniaiser...
Bonne continuation et merci
Majid

AKOUJAN a dit…

Bonjour Si Abdelmoumène,
Les Européens, continuant l'élan de leur fougue pour tout consigner et tout codifier depuis La Renaissance, ont finalement trouvé quelque chose à enseigner: d'où les édits de la démocratie occidentale dont on apprend les principes jusque chez nous. Nos valeurs reposaient en revanche sur la transmission par tradition orale, l'ensemble de l'espace étant l'amphithéâtre, et tout un chacun était le maître et l'étudiant en même temps.
Ainsi, les écrits européens, bien que n'ayant pas évolué parce que figés, sont restés pour être légués à la postérité, pendant que notre tradition orale ne pouvait retenir et pérenniser nos richesses pourtant bien plus valables.
Merci pour vos émotions que je partage profondément.

AKOUJAN a dit…

Bonjour Si Majid,
J'ai lu et relu ton commentaire. J'ai essayé de trouver une réponse. Mais je l'avoue, l'accord est tellement parfait, que ce que je tente d'avancer en guise de réponse s'y trouve déjà! Nous sommes passés trop rapidement "à coté de notre histoire en TGV en se précipitant vers une identité fictive livrée dans du papier cadeau.", c'est bien vrai.
"Il faudrait bien un travail énorme de DÉCONSTRUCTION brique par brique d,un apprentissage de L,histoire locale pour remonter les fondations selon un schema honnête, instructif et formateur d,une fierté de soi même et de ses racines.", c'est vrai aussi.
Merci Si Majid pour cet apport précieux qui boostera la valeur de ce modeste blog.